0225 A Nous Deux, Bordeaux !
Me voilà pile devant le grand portail en bois impeccablement peint en vert foncé mais brillant. On dirait que ça a été fait la veille. Sur le tableau des sonnettes, je repère le nom du propriétaire, Mr Guillon.
Je sonne. Ma nouvelle vie commence ici et maintenant.
« Oui ? » jentends une petite voix dans linterphone.
« Cest Nicolas, votre nouveau locataire ».
« Ah oui, je touvre ».
Mr Guillon raccroche linterphone et déverrouille la serrure à distance.
Et alors que je mattends à rentrer dans un hall et à trouver un escalier et une porte dascenseur, je me retrouve devant un large couloir, un passage assez sombre dont le mur à ma droite est encombré de deux containers poubelles, de nombreux vélos et de deux scooters. Le tout surmonté par un grand miroir dau moins cinq mètres de long. Un escalier part vers la gauche.
Mr Guillon mattend au fond du passage. Me voyant dans la pénombre, il appuie sur un bouton et il allume une lumière.
« Viens, cest par ici ».
Je rejoins mon propriétaire, un bonhomme plus très jeune mais mince, à lallure sportive, avec des cheveux gris mais bien entretenus. Des lunettes fines et élégantes lui donnent un certain style.
Le passage débouche sur une petite cour intérieure au sol peint en rouge assez vif, sol jouxté dun grand nombre de pots remplis de verdure. Deux beaux palmiers trônent dans deux grands pots.
« Bonjour Nicolas » il maccueille chaleureusement en me serrant la main.
Derrière les lunettes, jai limpression que ses petits yeux me scrutent.
« Bonjour Mr Guillon ».
« Moi cest Denis ».
« Daccord ».
« Tu as fait bon voyage ? ».
« Très bien, merci. Jai un peu tourné avant de trouver le quartier ».
« Tu ne connais pas Bordeaux ? ».
« Non, cest la première fois que je viens »
« Tu vas apprendre à laimer, au fond ce nest pas si différent de Toulouse. En plus, la Garonne fait le lien ».
Je souris de cette concordance de réflexions.
« Au fait, vous pouvez me dire pourquoi ici à Bordeaux la Garonne a cette couleur marron ? » je pense à lui demander.
« Cest à cause de leau de mer qui remonte le fleuve, ça crée des remous et ça laisse des particules dargile en suspension ».
Et voilà, je tiens mon explication.
« Cest vrai quà Toulouse, elle a une toute autre couleur » il conclut.
« Vous connaissez Toulouse ? ».
« Moi aussi je suis toulousain. Je suis né à Muret mais jai vécu dans la ville rose depuis mon enfance jusquà mes 30 ans ».
« Ah, et vous habitiez quel quartier ? ».
« Jeanne dArc ».
« Moi cest Saint Michel ».
« Javais un amis par là-bas, route dEspagne, quand jétais jeune, un très bon ami » fait-il, lair songeur « mais cétait il y a longtemps, très longtemps. Allez, je te montre lappart ? ».
« Oui, et encore désolé de ne pas avoir pu venir avant »
« Cest pas grave ».
Lappart, dont la porte dentrée se situe pile à la limite entre le passage et la petite cour, est un tout petit studio de 15 mètres carrés, avec une minuscule salle de bain au bout. Lensemble est plus petit que ma chambre à Toulouse. Mais il est tout meublé, et somme toute assez chaleureux.
« Ça te convient ? ».
« Oui, très bien ».
« Alors on va signer les papiers ».
Denis traverse la petite cour et rentre dans une porte à langle opposé. Je le suis. Je pénètre dans une cuisine où un homme aux cheveux blancs est affalé sur un fauteuil roulant calé devant une table. La télé est allumée, mais le bonhomme semble assoupi.
« Albert ! Albert ! » lappelle Denis.
Le bonhomme se réveille en sursaut.
« Quoi ??? Quest-ce quil y a ? ».
« Le nouveau locataire est arrivé, réveille-toi ! ».
« Cest toi le nouveau locataire ? » il me questionne, encore à moitié dans les vapes.
« Oui, je mappelle Nicolas ».
« Comment ? ».
« Il sappelle Nicolas » fait Denis en haussant le ton de la voix.
« Il est un peu sourd » il mexplique ensuite « et lui cest Albert ».
« On a de la visite ? » demande Albert sur un ton joyeux, enfin réveillé, en affichant un sourire lumineux.
« Tas pas entendu ce que je tai dit ? Cest Nicolas, le locataire quon attendait »
« Ah, oui, daccord, daccord. Cest le dernier studio de libre. Tu le prends ? ».
« Oui, monsieur ».
« Moi cest Albert, pas monsieur ».
« Daccord Albert ».
« Et lui, cest Autan » fait-il en mindiquant un adorable chien beagle qui est en train de renifler mes chaussures « je lai appelé Autan car il est aussi rapide que le vent ».
« Il est joli ».
« Alors, tu viens doù ? »
« Je viens de Toulouse ».
« Ah, Toulouse, comme Denis ».
« Eh oui, il ma dit ».
« Ah, cest une belle ville, Toulouse. On y allait assez souvent, avant. Mais maintenant je ne vais plus nulle part, car je suis cloué sur ce chariot » fait le vieillard au regard d.
« Ne te plains pas, tu as bien profité de la vie » commente Denis.
« Mais on ne se lasse jamais de profiter » fait Albert en rigolant « Mais bon, maintenant il ne me reste que la télé, et encore il faut que je la regarde avec les sous-titres, car je suis sourd. Jessaie de continuer à lire, mais il me faut une loupe. Je voudrais marcher. Mais il me faut un chariot. Je voudrais pouvoir me lever tout seul le matin, mais il me faut de laide. Bref, je ne peux plus rien faire sans assistance ».
Ses mots sont durs à entendre, sa lucidité quant à son état est terrible. Ça me met mal à laise. Je voudrais savoir trouver les mots pour le réconforter, je ny arrive pas. Et pourtant, il y a dans sa voix une sorte de résignation, comme une acceptation de son état. Une certaine sérénité.
Soudain, mon regard est happé par une photo posée à côté de la télé. On y voit un superbe jeune homme brun, la trentaine, tout habillé en noir, dans la neige, appuyé contre une paroi rocheuse.
« Ce gus là, cest moi, il y a presque cinquante ans, dans les Pyrénées.
Je souris.
« Je me souviens du jour où cette photo a été prise » il continue « je me souviens que jétais en colère contre mon copain. Cest drôle, parce que je me souviens que jétais en colère, et pourtant je ne me souviens même plus pour quelle raison. Ça devait certainement être à cause dune bêtise. Cest marrant comme avec le temps tout ce quon a vécu de négatif perd de limportance jusquà disparaître de la mémoire. Mais on le voit bien sur la photo que je suis en pétard ».
En effet, maintenant quil le dit, je le vois moi aussi.
« Dans ma jeunesse, jétais passionné dalpinisme » il enchaîne « et maintenant, je suis un vieux sur un fauteuil roulant. Mais cest vrai que jai profité de la vie. Il le faut. Il faut profiter de la vie, sans attendre. Le temps passe vite, tu sais ? Il faut vraiment profiter de chaque instant. Vivre chaque jour comme si cétait le dernier qui test donné de vivre et le premier du restant de ta vie ».
En prononçant ces mots, le vieux Albert sur fauteuil regarde le jeune Albert dans les Pyrénées comme dans un miroir déformé par le temps impitoyable. Il y a de la nostalgie dans son regard, mais elle est calme, elle est belle. Ce vieil homme est vraiment touchant.
« Il fait la morale à tout le monde » plaisante Denis en levant les yeux du contrat de bail quil est en train de remplir.
« Heureusement que tu es là pour maider » fait Albert en sadressant à moi.
« Je suis un saint. Je te supporte depuis si longtemps ».
« Je vais sur mes 77 ans » me précise Albert.
« Tiens, Nicolas, tu vas remplir ta partie et signer » fait Denis.
« Tout le monde mappelle Nico ».
« Ok, Nico ».
Je remets à Denis le chèque de caution et il me remet les clefs.
« Ça y est, cest officiel, tu es bordelais » commente Albert.
« Je vais chercher mes affaires dans la voiture ».
« Si tu as besoin de quelque chose, nhésite pas » fait Denis.
« Merci ».
« Enchanté davoir fait ta connaissance, Nico » me lance Albert, avec un regard bienveillant.
« Moi aussi ».
Je fais deux voyages pour récupérer mes affaires et je prends enfin possession de ce nouvel espace, de ce premier petit chez moi. Je range tout ça dans le petit placard, jouvre le clic clac, je mallonge sur ce lit escamotable. Je me sens bien, je respire à fond, je me pose. Le voyage ma quand même un peu claqué.
Soudain, je ressens le contact de la chaînette de Jérém sur ma peau. Cest tellement excitant. Mes muscles se relâchent, jai envie de lui. Jai envie de me branler, jai envie de lappeler. Il est 20 heures. Je vais attendre un peu.
Jai faim. Jessaie dallumer la plaque chauffante pour me faire une omelette, mais ça ne marche pas. Je traverse la petite cour et je vais toquer à la porte vitrée de mes deux propriétaires.
« Désolé de vous déranger ».
« Oui, Nico, rentre ».
Je pousse la porte et je vois Denis en train de servir de la soupe à Albert.
« Quest-ce qui tarrive ? ».
« Je narrive pas à faire marcher la plaque de cuisson ».
« Ça doit être un fusible
jarrive ».
« Je ne veux pas vous déranger, vous êtes en train de dîner. Je peux attendre ».
« Allez, viens manger avec nous » fait Albert.
« Je ne veux pas mimposer ».
« Ca nous fait plaisir, au contraire » fait Denis « ça nous changera un peu de nos repas entre vieux. Il y a de la soupe et de la blanquette. Si ça te tente ».
« La blanquette je ny ai pas encore goûté, mais la soupe est bonne » mencourage Albert.
« Ça me va ».
Je minstalle à table et Denis met un troisième couvert.
Albert commence aussitôt à me questionner au sujet de mes études. Albert me parle de la vie à Bordeaux, des quartiers à visiter, des endroits où manger et sortir. Ils me parlent aussi des autres locataires de limmeuble, quelques étudiants, des familles, des retraités.
« La porte dans le couloir en face de la tienne cest un jeune » me raconte Albert « il a une petite copine. Quand elle est là, il ne bouge pas une oreille. Mais quand elle nest pas là, il invite des potes, ils boivent comme des trous et ils mettent de la musique à fond et très tard. Il faut nous le dire sil te dérange, on lui dira de se calmer ».
« Daccord, merci ».
La conversation est agréable. Je remarque que Denis est du genre réservé, tandis quAlbert, malgré son infirmité, est dune nature joviale et optimiste.
A un moment, mon téléphone se met à sonner. Je le sors de la poche, le cur en fibrillation. Je frôle le ko technique lorsque je vois safficher sur lécran « Mon Jérém ».
Je crève denvie de répondre, mais jhésite. Je trouve très impoli de répondre au téléphone pendant un repas, en particulier lorsquon est invité. Je ne veux pas imposer une conversation privée et je nai pas envie de devoir me brider pour rester discret. Mais mon tiraillement doit se voir, car Albert finit par me lancer, taquin :
« Tu peux répondre, tinquiète, on ne répètera rien. De toute façon, je suis sourd ».
« Je vais faire vite ».
Albert sourit.
« Allo ? ».
« Ourson ».
Ce petit mot me fait toujours autant deffet. Je crève denvie de lui répondre « petit loup », mais je nose pas.
« Ça va ? ».
« Oui, ça va. Tu es arrivé à Bordeaux ? ».
« Il ny a pas longtemps ».
« Et tu es où ? ».
Dans le quartier de Saint Genès, rue Saint Genès en fait, pas loin du centre ».
« Cool ! Tas fait bonne route ? ».
« Très bonne ».
« Lappart est bien ? ».
« Pas mal, pas mal ».
« Tu fais quoi là ? ».
« Je dîne avec les propriétaires, ils mont invité parce que ma plaque chauffante ne marche pas. Ils sont très gentils ».
« Bien, bien ».
« Tu as fait quoi aujourdhui ?
« On a fait un match et beaucoup dentraînements ».
« Ca sest bien passé ? ».
« Oui, je kiffe à mort ! ».
Je suis un peu gêné de parler avec Jérém, jai peur de trop me dévoiler. Aussi, je ne veux pas rester trop longtemps au téléphone.
« Jérém, je peux te rappeler un peu plus tard ? ».
« Là je sors manger avec les potes, mais on ne devrait pas rentrer tard ».
« Je te rappelle avant minuit ? ».
« Ok ».
« Parfait ».
« Tu me manques Nico ».
« Toi aussi tu me manques ».
« A tout ».
« A tout ».
Je raccroche. Jai le visage en feu. Jai tellement envie de le voir, de le serrer contre moi. Jai tellement envie de passer des heures à parler avec lui.
« Cétait ta copine ? » me questionne Albert.
« Non, cétait
cétait
un copain » je bafouille.
« Un copain ou ton petit copain ? » il me demande cash.
Il ny a que les s et les personnes âgés qui osent poser des questions sans détours.
« Mais laisse le tranquille, tes pas son père ! » fait Denis, face à ma surprise.
« Mais je lui pose juste une question, je ne vais pas le gronder ! De toute façon, il nest pas con, il a compris pour nous deux. Nest-ce pas, Nico, que tu as compris ? »
Je ne sais quoi répondre. En effet, je me suis posé la question de la relation entre ces deux hommes âgés. Mais de là à en parler, surtout si tôt, je ne me sens pas vraiment à laise.
« Euh
» je tergiverse.
« Alors, pour quil ny ait pas de malentendu, je vais te dire exactement ce quil en est. De toute façon un jour ou lautre lun des locataires va te parler des « papis pd » du rez de chaussée. Alors autant que tu sois au courant. Denis et moi, on est ensemble, ça fait des siècles quon est ensemble. Nous navons rien à cacher. Alors, jaime mettre les gens à laise ».
Rassuré par ses mots, je décide de jouer franc jeu. Dautant plus que si un jour Jérém vient me voir, ils vont finir par savoir à leur tour.
« Oui
cest mon copain ».
« Je me disais bien quun gars aussi sympa que toi devait jouer dans notre équipe » plaisante Albert.
Je souris.
« Ton chéri sappelle comment ? ».
« Jérémie ».
« Il est beau ? ».
« Plus que ça même ».
« Et il est resté à Toulouse ? ».
« Non, il est parti à Paris il y a quelques jours ».
« Et quest-ce quil fait là-bas ? ».
« Il a été recruté par un club de rugby pro ».
« Ah, carrément, un rugbyman
tu te fais pas chier Nicolas
» plaisante Albert.
« Le Stade ? » minterroge Denis.
« Non, le Racing ».
« Denis est passionné de rugby » mexplique Albert « plus jeune, il y jouait aussi ».
« Vous jouiez à quel poste ? » je demande.
« Il était redresseur de troisième mi-temps » fait Albert, un sourire malicieux sur les lèvres.
« Redresseur ? ».
« Ne lécoute pas, il ne raconte que des bêtises » fait Denis.
« Disons quil remontait le moral des joueurs
mais pas que » continue Albert sur sa lancée.
« Mais la ferme ! ».
« En fait, il préférait le jeu de boules dans les vestiaires à celui avec le ballon ovale sur le terrain ».
« Ah tu peux parler, toi quon surnommait à Lourdes « le pénitent des broussailles » ».
« Je suis un homme très pieux, je ny peux rien » plaisante Albert.
« Oui, ça, être à genoux ça te connaissait ».
« La prière est le salut de lâme ».
« Cest sûr que tu étais très porté sur les chapelets, surtout ceux à deux grains ».
« Le Seigneur a dit : tu aimeras ton prochain ».
« Mais il na pas dit que tu laimeras dans les broussailles, et notamment pendant les pèlerinages des militaires et des gitans ».
« Ah, les années 60 et 70, cétait lépoque de lamour libre et de linsouciance avant larrivée du Sida » commente Albert, dans la voix une visible nostalgie pour ce « paradis perdu ».
« Aujourdhui, vous, les jeunes » il continue « vous vivez votre sexualité plus librement, mais vous devez composer avec cette saloperie. A notre époque, on devait rester caché, mais on baisait le cur léger ».
« Peut-être un peu trop, même
» commente Denis.
« Vous avez travaillé à Lourdes ? » je questionne Albert.
« Oui, pendant plus de 20 ans ».
« Mais vous êtes originaire des Hautes Pyrénées ? ».
« Non, je suis bordelais pure souche ».
« Mon paternel était un médecin très connu » il raconte « jai passé une enfance plutôt heureuse, du moins jusquà la guerre. Javais 15 ans en 1939. A vrai dire, comme on avait du fric, on na pas vraiment pâti du conflit. Fils unique et fils de médecin en vue, jai pu être réformé. On avait une maison à la campagne et on sy est installés jusquà la Libération. En 1946, jai entamé des études en architecture.
Tout se passait bien jusquà ce quen troisième année je me fasse gauler au pensionnat en train de fricoter avec Charles, un copain de fac.
Evidemment, cest arrivé aux oreilles de mon père, qui ma mis plus bas que terre. Mais ça ne lui a pas suffi. Il était médecin, et il croyait que tout pouvait se soigner. Y compris lhomosexualité.
Il ma amené dans un hôpital. On ma fait des électrochocs. A lépoque on soignait ça comme ça. Cétait horrible. A la fin de la première séance, jétais sonné. Mais jai eu la présence desprit de sauver ma peau. Jai bousculé le médecin et linfirmière, et je me suis tiré. Je navais pas un sou en poche mais je ne pouvais pas rentrer chez moi. Mon père maurait tué. Pire que ça, il maurait ramené à cet hôpital de charlatans criminels. Jai survécu deux jours en volant à manger à droite et à gauche.
Javais très peur de me faire attr, de me faire embarquer par les flics, et que mon père me retrouve. Alors, je suis allé à la gare Saint Jean. Jai pris le premier train où jai pu monter. Le train sest arrêté à Lourdes. Je suis descendu. Cétait lannée 1948. Cétait juste avant Pâques. Sur presque chaque porte dhôtel il y avait une affiche proposant du travail.
Je suis rentré au Moderne, lhôtel juste à côté des Sanctuaires. Il y avait de dizaines dhôtels à Lourdes, mais je suis rentré dans celui-là parce que cétait de loin le plus beau bâtiment de la ville. Il a été lun des premiers hôtels de Lourdes, et il a été construit en forme de bateau. Chacune de ses trois façades en style baroque combine la couleur bordeaux du crépi des murs avec les nuances grises et jaune de la pierre qui encadre les ouvertures. Les mêmes façades sont ornées de sculptures, de frises et de mascarons sublimes.
Cet hôtel est une pure merveille. Jen suis littéralement tombé amoureux. Je suis rentré. Le décor de la réception et de la grande salle de restaurant, deux superbes pièces faites de bois, de marbre, de miroirs et de lustres en cristal, ma complètement retourné. Limmense escalier en bois en forme de colimaçon ma fait halluciner. La tenue élégante des serveurs en chemise blanche et gilet noir ma impressionné ».
« Ce sont surtout les serveurs qui tont impressionné » fait Denis, taquin.
« Cest vrai quil y en avait un qui me faisait beaucoup deffet. Mais je nai jamais rien pu faire avec lui, hélas. Il était hétéro, même après plusieurs verres.
Bref, je me suis pointé à la réception et on ma embauché comme plongeur. On ma donné de quoi manger, une chambre de bonne au dernier étage et des vêtements propres. Cétait tout ce dont javais besoin à ce moment de ma vie.
Le soir même, jai envoyé une lettre à ma mère pour lui dire où jétais et ce que je faisais. Elle ma répondu quelle souhaitait que je sois heureux.
Lhiver suivant, jétais plongeur dans un restaurant au ski à Barèges. Pendant un paquet dannées, jai enchaîné les saisons dété à Lourdes et les saisons dhiver dans les Pyrénées. Mais je ne suis pas resté plongeur longtemps. Jai vite été mis derrière les fourneaux et en deux saisons jai été chef cuisinier. Cétait une époque où la volonté comptait davantage que les diplômes ».
« Et alors, comment vous vous êtes rencontrés ? » je suis impatient de savoir.
« Sur un lieu de drague à Lourdes ».
« Ah, bon, il y avait ça à Lourdes ? ».
« Il se passait pas mal de choses à Lourdes, mon cher ami. Et oui, il y avait de la drague dans les broussailles derrière les sanctuaires, de lautre côté du Gave. Cétait avant quils aménagent la prairie et quils bâtissent du bénitier vers là-bas.
Bien sûr, on y allait la peur au ventre, craignant les descentes des forces de lordre, qui nhésitaient pas à embarquer les mecs pour attente à lordre moral. Si on se faisait choper, cétait la garde à vue, le déferrement au parquet, des condamnations, avec ou sans sursis. Lhumiliation. Et, surtout, une très infamante inscription sur le casier judiciaire quon se traînait toute la vie.
Mais on navait pas le choix. Il ny avait pas tous les bars et les saunas quil y a aujourdhui.
Cette année-là, Denis était descendu de Toulouse à loccasion du pèlerinage militaire au mois de mai. Il était venu avec des « copines » à lui, pour chasser luniforme. Je me souviens encore, de cette nuit. Cétait en 1963 et on ne sest pas lâchés depuis. Tu vois, Nicolas, ça fait presque 40 ans ».
« Et par la suite, vous avez vécu votre relation à distance ? ».
« Non. Lannée suivante, Denis est venu travailler à Lourdes lui aussi. Nous avons fait les saisons jusquau début des années 1980. En 1982 mon père est décédé. Je ne lavais pas revu depuis quil mavait amené à lhôpital pour me faire soigner. Il na même pas essayé de venir me chercher. Il devait considérer que cétait mieux que je reste loin pour ne pas salir la réputation de la famille. Peut-être quil espérait un miracle de la Vierge ».
« Mais il nest jamais venu » plaisante Denis.
« Oh que non ! Ma mère en revanche, a été formidable pour une dame de son époque, et pour lépoque. Même du vivant de mon père, elle venait deux fois par an me voir à Lourdes. Elle a connu Denis et sest très bien entendue avec. Quand elle sest retrouvée veuve, elle ma demandé de revenir à Bordeaux pour moccuper de cet immeuble. Je suis revenu avec Denis et on sest installés ici. Grâce à cet immeuble, on a passé les 20 dernières années pénards ».
« Cest une belle histoire ».
« Cest vrai. Pourtant, ce nétait pas simple dêtre gay à mon époque. Je repense à ce pauvre Charles. Maman ma raconté que son père sétait laissé convaincre par le mien de le faire soigner aussi. Mais lui ne sest pas enfui de lhôpital de lhorreur.
A lépoque où je le côtoyais, Charles était un garçon très vif, drôle, intelligent, cultivé, plein dénergie. Maman ma raconté quelle lavait croisé quelques fois par la suite, avec ses parents, et elle lavait trouvé complètement éteint, le regard vide. Ce mec na rien fait de sa vie. Et il sest pendu alors quil navait même pas 30 ans. Avec leurs décharges électriques, ils ont du lui cuire le cerveau. Dieu seul sait ce quils lui ont fait subir ces monstres en blouse blanche. Même 50 après, je suis toujours en colère contre cette injustice absurde. Paix à son âme ».
Un silence lourd sinstalle après la fin du récit dAlbert. Je ne sais pas quoi dire, je suis abasourdi par ce quil a enduré.
« Allez, assez raconté ma vie » finit par relancer le vieil homme « parle-moi un peu de toi. Tu las rencontré comment ton Jérémie ? ».
« Je lai rencontré le premier jour du lycée. Je suis arrivé dans la cour et il était là, avec des potes, beau comme un Dieu. Je lai vu et je suis tombé raide de lui. Mais il couchait avec des nanas. Jai été fou de lui pendant tout le lycée. Puis, juste avant le bac, je lui ai proposé de réviser ensemble. Et on a commencé à coucher ensemble. Cest lui qui a voulu. Moi je naurais jamais osé le lui proposer. Au début, il ne voulait que du sexe. Pendant un temps, cétait dur pour moi. Mais on a fini par sapprivoiser. Je viens de passer quelques jours avec lui dans les Pyrénées, avant son départ à Paris. Et ils ont été les plus beaux jours de ma vie ».
« Que cest beau lamour entre garçons » fait Albert, rêveur.
« Alors, il joue à quel poste ? » demande Denis.
« Quand il va venir te voir, tu le préviendras pour quil fasse gaffe » fait Albert, taquin.
« Gaffe à quoi ? ».
« Tu lui diras que dans limmeuble il y a un vieux satyre qui kiffe les jeunes rugbymen et qui, malgré son âge, est encore capable de leur sauter dessus » plaisante Albert.
« Mais tais-toi, pétasse ! ».
« Il est ailier » je finis par répondre, après une bonne tranche de rigolade.
« On va le voir à la télé bientôt, alors ».
Je navais pas pensé à ça. La rigolade laisse vite la place à linquiétude. Dès quil va apparaître à lécran, il va être le rugbyman le plus convoité de France. Putain, comment vais-je faire pour le retenir ?
« Oui je crois » je finis par répondre, comme dans un état second, happé par mes inquiétudes.
« Tu es très amoureux, hein ? ».
« Fou amoureux ».
« Et lui aussi est amoureux de toi ? ».
« Je crois ».
« Ça fait combien de temps que vous êtes ensemble ? ».
« Quelques mois ».
« Comme je te lai dit, nous ça fait presque 40 ans. Mais il ne faut pas croire que ça a toujours été la vie en rose. On a fait quelques écarts, bien sûr. Mais on ne sest jamais perdus et on a échappé au sida. Si jamais vous mettez un coup de canif au contrat, ce nest pas grave, mais il faut se protéger, Nicolas ».
« Je sais, mais cest dur daccepter quil puisse aller voir ailleurs ».
« Sil a envie, tu ne pourras pas len empêcher ».
« Je sais ».
« Alors il faut au moins que tu sois sûr quil ne te ramène pas de cochonneries ».
« Ce nest pas évident den parler ».
« Pourtant, il le faut. Il faut que vous soyez clairs entre vous ».
« Mais comment lui en parler sans lui donner limpression que ça mest égal quil aille voir ailleurs ou que je lui dis ça pour le préparer à lidée que jai envie daller voir moi, ailleurs ? ».
« Oui, cest délicat, mais il faut que vous en parliez. Tu lui dis ce que tu viens de me dire, que tu laimes et que tu ne veux surtout pas quil aille voir ailleurs, et encore moins le tromper. Mais il faut que vous vous promettiez que si jamais il y a un écart, que vous allez vous protéger, à tout prix ».
« Je ne veux pas quil y ait décart ».
« Il faut composer avec la distance, le temps, les hormones et les occasions qui peuvent venir sans quon aille ment les chercher. Il faut être paré pour limprévu, cest trop important. Il vaut mieux se faire confiance sur la protection que sur la fidélité ».
Les mots dAlbert font écho aux mots de mon pote Julien. Je sais que lun comme lautre ont raison. Je sais que je vais devoir un jour avoir cette discussion avec Jérém. Mais quand ? Comment trouver le bon moment et la bonne façon pour aborder un sujet si épineux ? Comment me lancer, en prenant le risque de gâcher lun des rares moments ensemble qui nous seront offerts dans les mois à venir ?
« Moi je dis que si tu es amoureux dun gars qui est aussi amoureux de toi, tu as bien de la chance. Alors, profite de la vie, elle passe si vite ! » conclut Albert.
Son attitude me réchauffe le cur. Je suis content davoir des propriétaires et des voisins comme eux. Je sens que leur présence va maider à avancer, à me construire, à massumer. Jai hâte dentendre dautres récits de leur expérience dans un monde, celui de leur jeunesse, qui était encore plus répressif avec lhomosexualité que celui daujourdhui.
Après le dîner, Denis vient changer le fusible à lappart.
« Voilà, ça marche maintenant » il me lance, alors que la plaque chauffante sallume enfin.
« Merci beaucoup ».
« Tu as lair dun gars sympa, Nicolas. Si tu as besoin de quoi que ce soit, nhésite pas à venir nous voir ».
« Cest très gentil ».
« La vie ne nous fait pas toujours de cadeaux. Alors, il faut se serrer les coudes entre nous ».
« Je suis touché ».
« Surtout nhésite pas. Si on peut taider, on le fera ».
« Et vous aussi, si vous avez besoin daide, vous pouvez compter sur moi ».
« Je ne dis pas non. Parfois jai besoin daide au jardin ».
« Nhésitez pas ».
« Daccord Nicolas ».
« Tout le monde mappelle Nico ».
« Ok. Bonne nuit Nico ».
« Bonne nuit ».
Ces deux messieurs ont lair vraiment adorables. Ainsi, lidée de navoir quà traverser cette petite cour pleine de verdure pour avoir de laide et du soutien me rassure et me fait chaud au cur. Je me sens entouré dune bienveillance qui, par certains côtés, me fait repenser à celle que jai ressentie à Campan, au milieu de la petite bande de cavaliers.
Je ferme la porte fenêtre derrière moi, je la verrouille, je tire le store. Je menferme dans mon petit terrier. Jallume la petite lumière tamisée de chevet. Jouvre le clic clac, je me glisse sous ma couette. Je me sens bien. Jai envie de dormir. Mais il nest que 22 heures, et jai promis à Jérém de lappeler vers minuit. En attendant, jallume la télé pour le temps. Et je finis par massoupir.
La sonnerie de mon portable me réveille en sursaut.
« Ourson ».
« Petit loup. Je métais assoupi ».
« Ah, désolé
».
« Ca fait rien. Javais envie dentendre ta voix. Tu me manques ».
« Toi aussi tu me manques. Alors, tes bien installé ? ».
« Cest petit, mais je suis bien. Jaimerais que tu sois là avec moi ».
« Il faut minviter alors ».
« Tu es officiellement invité ».
« Si je pouvais, je viendrais tout de suite ».
« Jai envie de toi ».
« Moi aussi, grave ! ».
« Demain je vais mettre mon nom sur linterphone. Comme ça tu sauras où sonner ».
« Je viendrais dès que je pourrai, mais ça risque de ne pas être tout de suite ».
« Je tattendrai ».
« Tes mignon, Nico
».
« Au fait, jai de super voisins ».
« Ah bon ? ».
« Ce sont me proprios, ils sont âgés, style 70 piges, et ils sont ensemble depuis 40 ans ».
« Et comment tu sais tout ça ? ».
« Ils me lont dit ».
« Au bout de quelques heures seulement après ton arrivée ? ».
« On a sympathisé ».
« Ils savent que tu es gay ? ».
« Ils ont compris après ton coup de fil. Et on a joué cartes sur table. Je te promets, ils sont vraiment adorables. Ils ont hâte de te connaître. Le moins âgé des deux aime le rugby. Il a même joué quand il était jeune ».
« Ca nous fera au moins un sujet de conversation » il plaisante.
« En discutant avec eux, je me suis rendu compte quon a quand-même de la chance de vivre à lépoque actuelle ».
« Pourquoi tu dis ça ? ».
Je lu raconte en quelques mots lhistoire hallucinante dAlbert.
« Avant cétait quand même horrible ».
« Cest certain » il commente « mais tout nest pas parfait aujourdhui non plus. Les pd sont toujours considérés comme des sous-merdes. Tiens, il ny a pas un jour dans les vestiaires où je nentends pas des réflexions du style « on va gagner contre cette équipe de pd » ou « je peux faire ça car je ne suis pas un pd » ou « ce pd ma fait tomber exprès ». Quand on parle de pd, cest toujours négatif, plein de mépris ».
« Cest vrai. Ce nest quand-même pas normal quon dise « un truc de pd » pour quelque chose qui nest pas vraiment vaillant. Cest pas normal que lune des insultes les plus offensantes que les mecs lâchent pour humilier quelquun soit « pd ».
« Cest comme ça. Moi aussi je le faisais avant. On entend le faire, et on le fait à son tour pour être comme les autres. Cest con, mais cest comme ça. Le mépris ne sarrêtera jamais. Et les gays se font toujours insulter et tabasser ».
« Mais au moins de nos jours lEtat ny met pas du sien. Au contraire, il punit les agresseurs ».
« On ne viendra jamais au bout de la haine contre les gays ».
« Regarde comment les choses ont changé en quelques décennies. Ok, tout nest pas parfait, mais ça avance dans le bon sens ».
« Je voudrais en être si certain que toi. Allez ourson, je vais aller me coucher, je suis naze ».
« Au fait, jai revu Thibault cet après-midi, avant de partir ».
« Il va comment ? ».
« Pas trop mal. Il a juste besoin de temps. Il nen veut à personne, mais il a besoin de mettre son énergie dans le rugby ».
« Ça se passe bien ses entraînements ? ».
« Oui, ça a lair ».
« Cest tout ce quil ta raconté ? ».
Soudain, je repense à la grande nouvelle de sa future paternité. Jai envie de lui en parler mais Thibault ma demandé de ne pas le faire et je respecte sa volonté.
Mardi 18 septembre 2001
Le lendemain matin, je me réveille en bonne forme. Je me lève rapidement et je me sens plein dénergie. Jérém me manque beaucoup. Mais cest le grand jour de ma rentrée à la fac et je suis tout excité. Je passe à la douche, je mhabille. Je découvre sur mon portable un message de mon bobrun me souhaitant une bonne rentrée à la fac. Adorable. Il y a pensé, il sen est souvenu !
Je viens de faire chauffer mon café, lorsque jentends toquer à la porte fenêtre.
« Bonjour Nico ».
Denis se tient devant moi, un plat de pancakes maison à la main.
« Bonjour Denis ».
« Tu aimes les pancakes ? ».
« Oui, bien sûr ! ».
« Jen ai fait beaucoup et jai pensé que tu en mangerais au petit déj ».
« Cest super gentil. Merci beaucoup ! ».
« Bon premier jour à la fac ! » il me lance.
En quittant mon appart, je me sens une nouvelle fois apaisé par cette petite cour intérieure au sol rouge. Car cest un havre de calme, de paix, de chaleur humaine, dans lequel je me sens à labri de cette ville encore inconnue, cette ville qui grouille au bout du couloir sombre, derrière le grand portail en bois peint en vert.
En allant prendre le bus pour aller à la fac, je passe devant un kiosque à journaux. Mon regard est happé par les gros titres des quotidiens toujours en rapport avec ce qui sest passé le 11 septembre. Soudain, je réalise quil sest déjà écoulé une semaine depuis les attentats de New York. Une semaine déjà. Comment le temps passe ! Comment la vie continue, malgré lhorreur !
Pendant quelques instants, je revois la tête déconfite de Charlène, lorsque Jérém et moi avons débarqué à limproviste chez elle, après être redescendus de Gavarnie, après avoir fait lamour, pour lui apprendre la grande nouvelle du départ pour Paris. Je revois les images dune tour en feu, dun avion percutant la deuxième, de leffondrement des deux à quelques minutes dintervalle. Je retrouve la sensation davoir été poignardé dans le dos, la sensation davoir perdu une partie de moi. La sensation davoir perdu espoir en lHomme. Je retrouve la peur. Que ça pète ailleurs, nimporte où, nimporte quand, que ça nous touche dans nos villes, dans nos maisons. La peur que ces attentats provoquent une escalade de violence conduisant à immense conflit dont on a du mal à imaginer lampleur et la barbarie. Tout cela tourne en boucle dans ma tête, mempêchant de penser à quoi que ce soit dautre. Je nai même plus envie daller à la fac. A quoi bon y aller, si tout peut se terminer demain ?
Cest dans le bus que ces idées noires vont enfin me quitter. Un mec est assis vers le milieu du couloir. Pendant un instant, je croise son regard. A partir de cet instant, sa présence accapare totalement mon esprit. Il ny a rien de tel que la beauté du masculin pour nous faire oublier les soucis et les tracas.
Vingt ans, cheveux châtain courts. Pas « canon » mais avec un petit quelque chose de sexy et de touchant dans son allure, une bonne tête, un peu ronde. Il nest pas gros, il a juste une bouille un peu ronde. En fait il y a quelque chose dans son visage qui, dune certaine façon, me fait penser à Ryan Philippe plus jeune. Il aussi une boucle doreille a loreille gauche.
Le bus est bondé, et je suis obligé, comme dautres passagers, de rester debout dans le couloir. Ce qui me donne une bonne raison pour rester positionné face au bogoss.
Il doit être apprenti, je dirais maçon, ou plâtrier ou menuisier, un métier manuel en tout cas, car il est en tenue de travail. Il porte une veste de survêtement sale de poussière et de plâtre. Il tient un sac de sport sur ses cuisses.
Mais ce qui me fait particulièrement flasher sur lui, cest aussi un détail de sa tenue. Un petit détail pour certains, mais un grand détail à mes yeux. Il ny a rien à faire, je kiffe ça.
Certains fantasment sur les tenues en cuir, dautres sur les marinières, dautres sur le costard, luniforme, dautres encore sur les jeans moulants. Moi cest le t-shirt blanc. Un mec porte un t-shirt blanc, et il attire illico mon attention. Un mec porte un t-shirt blanc, et sa sexytude en est décuplée à mes yeux. Car il ny a pas à mes yeux vêtement plus sexy quun simple t-shirt blanc. Evidemment, je le préfère un peu près du corps, des biceps et du cou. Je laime bien col en V, mais je kiffe un max le col rond.
Et le mec dans le bus, sous sa veste de travail ouverte, il porte justement un t-shirt blanc, col rond, collé à sa peau, larrondi juste en dessus de sa clavicule. Sexy à mort.
Deux arrêts plus tard, une place se libère enfin, juste derrière le bogoss. Je cherche du regard sil ny aurait pas de passagers prioritaires, personnes âgées, handicapées, femmes enceintes. Lhorizon est libre, je my installe donc. Ce qui me permet de capter une légère fragrance de déo masculin capable déveiller immédiatement mes récepteurs de virilité.
Je consulte le plan du circuit du bus, comptant à rebours les arrêts me séparant de celui proche de la fac. Jai un peu le stress daller pour la première fois en cours. Jappréhende de devoir me confronter à ce nouveau monde, à tant de gens inconnus. Comment vais-je mintégrer ?
A lapproche de larrêt juste avant le mien, le bogoss se lève. Ce qui me permet de remarquer quil porte un pantalon de survêtement en tissu satiné, comme ceux que portent les footeux. Dailleurs, il ny a pas que le pantalon qui me fait penser quil puisse être footeux. Il y a aussi son beau petit cul, un vrai bon petit cul de footeux.
Le bogoss fait deux pas, puis il sarrête, bloqué par dautres passagers. Il pose son sac à terre.
Lorsque le bus sarrête, le couloir se désengorge peu à peu. Le bomec se penche pour attr à nouveau son sac. Et là, évidemment, sa veste remonte, avec son t-shirt blanc, et je vois dépasser lélastique de son boxer. Moment furtif mais frisson garanti, linstant pendant lequel je capte un éclat de lintimité dun bogoss.
Le bogoss finit par descendre du bus, et par disparaître de ma vue, de ma vie. Je le regarde partir vers sa vie qui me sera à tout jamais inconnue. Mais putain, sans être vraiment canon, quest-ce quil était sexy avec son t-shirt blanc !
Le bus arrive vite à larrêt de la fac. Je pénètre pour la première fois dans le campus et je me retrouve projeté dans un monde à part, peuplé par une foule de constructions plutôt modernes et assez impressionnantes, un monde grouillant détudiants, de vie, de savoir, de promesses davenir. Je suis heureux dêtre ici, de pouvoir faire des études.
Soudain, je sens mon cur plus léger. Ce monde mimpressionne toujours, mais jai envie den faire partie. Je vais maccrocher pour en faire partie.
Je traverse le campus à la recherche de lamphi où va se tenir la réunion de rentrée de ma promotion. Jai un plan du campus, jessaie de le comparer avec les panneaux dindications ci et là, mais jai limpression de tourner en rond. Il faut dire que je ne suis pas vraiment concentré sur mon plan. Je découvre les lieux. Et, surtout, je découvre leur faune masculine.
Je découvre une impressionnante concentration et variété de bogossitude au mètre carré. Je crois que je nai jamais vu autant de beaux mecs, de bonnes petites gueules, des physiques craquants, de petits cons réunis en un seul endroit, au point que je ne sais pas où donner de la tête.
Certes, il ny a pas que des bombasses. Mais à chaque pas un nouveau mec attire mon regard, éveille cette sensibilité qui est la mienne pour la sublime beauté du masculin. Alors, comment être concentré sur mon chemin dans ces « conditions » ?
Mais le temps presse, la réunion est censée débuter dans 10 minutes et je ne sais toujours pas où je dois me rendre. Jai la tête tellement en lair que je ne vois pas une nana qui vient dans la direction opposée. L« accident » est inévitable. Nous nous rentrons dedans.
« Désolé » jentends me lancer avec une voix de petite fille.
« Cest moi qui suis désolé. Je cherche lamphi où se tient la réunion de Sciences de la Terre » je fais, en dévisageant la petite brune que jai failli renverser.
« Cest vrai ? Je cherche le même amphi ! ».
« On peut chercher ensemble, alors » je lui propose.
« Oui, bien sûr. Je crois que cest par là ».
« Je marchais carrément dans la direction opposée » je plaisante.
« Je crois, oui ».
« Je te suis ».
Elle me sourit et presse le pas.
« Au fait, moi cest Nico ».
« Moi cest Monica. Et tu viens doù, Nico ? ».
« Je viens de Toulouse. Et toi ? ».
« Je viens de Mérignac, cest pas très loin ».
Nous trouvons le fameux amphi. Cet espace immense, rempli dune foule détudiants inconnus mintimide. La réunion démarre une poignée de minutes avant notre arrivée. Le responsable des études présente la fac, explique le fonctionnement, le règlement, le déroulement de lannée. Lemploi du temps est distribué.
A midi, je déjeune avec Monica au resto U. Nous faisons plus ample connaissance. Elle ma lair vraiment sympa. Ça promet bien cette nouvelle aventure.
« Ourson ».
Le coup du fil de Jérém du soir me fait toujours un bien fou.
« Ca va, ptit loup ? ».
« Ca va, oui. Alors, cette première journée à la fac ? ».
« Pas mal. Les cours sont bien. Jai sympathisé avec une nana plutôt sympa »
« Cest bien. Tu sais que je risque de rentrer à la fac aussi
».
« Cest vrai ? ».
« Le club encourage les jeunes joueurs à passer des diplômes ».
« Cest une bonne chose. Et tu sais dans quoi tu as envie de faire des études ? ».
« Je ne sais pas vraiment. Je voudrais faire STAPS. Mais on me conseille « gestion des entreprises ». Je ne sais pas encore ».
« Tu as le corps parfait pour STAPS, mais tu as aussi la tête pour ten sortir en gestion ».
« Tu maides vraiment ».
« Je serais heureux pour toi quoique tu choisisses ».
Après le coup de fil de Jérém, je me plonge enfin dans lunivers magique et prenant de Harry Potter. Ma cousine Elodie ma offert un coffret comprenant les premiers livres pour mon anniversaire quelques jours plus tôt. Mais je nai pas eu le temps de commencer à les lire avant. Et franchement, cest une très belle surprise.
Presque à chaque page, je me dis que cette saga est une vaste entreprise de recyclage de tous les mythes et de toutes les légendes ancrées dans la mémoire collective. Et pourtant, même avec autant dingrédients, « la mayonnaise prend » et le récit est vite addictif.
Mercredi 19 septembre 2001
Le mercredi, dans le bus, je croise une nouvelle fois le bel ouvrier en veste de travail et t-shirt blanc. Toujours aussi sexy. Toujours aussi inconnu.
Sur le campus, je croise des rafales de petits cons, parfois isolés, parfois en grappes, en pleine discussion entre petits cons. Et cest beau à en pleurer. Je commence à en repérer certains, qui commencent dune certaine façon à me devenir « familiers ». Des inconnus familiers. Délice et , que toute cette bogossitude, mais délice avant tout. Putain, quest-ce que jaime la fac !
Je retrouve Monica en cours. Et force est de constater quon sentend vraiment bien.
Monica est vraiment une nana géniale. Elle est drôle, espiègle, elle a de lhumour, de la répartie, du caractère. Pour certains côtés, elle me fait penser à ma cousine Elodie. Elle aime Madonna, Werber, Harry Potter, Tchaïkovski, les peintres impressionnistes, le piano. On est vraiment faits pour nous entendre.
Il y a une place vide à coté de Monica et une minute avant le début du cours, un mec débarque de nulle part.
« Bonjour. Elle est prise cette place ? ».
Le type porte une chemise blanche avec deux boutons ouverts en haut, un blazer marron vif, un jeans, des chaussures de ville. Ses cheveux châtain clair sont coupés en dégradé autour de la tête et tenus en brushing « raie de côté » sur le haut. Ils sont assez longs, lisses, vigoureux. De beaux cheveux.
Le mec a un sourire charmeur. Cest un petit gabarit, assez fin, mais il a une prestance, il se dégage de lui une élégance naturelle, comme une aura qui le fait se distinguer parmi une foule.
« Non, je ne crois pas quelle soit prise » jentends Monica lui répondre.
« Je peux masseoir alors » fait le type, avec une assurance qui frise linsolence.
« Oui je crois ».
« Au fait moi cest Raphaël ».
« Moi cest Monica ».
« Enchanté Monica »
« Et toi ? » il me questionne.
« Moi cest Nico ».
« Enchanté Nico ».
« Enchanté moi aussi ».
Raphaël est un moulin à parole, mais il est très sympa. Le début du cours loblige à se taire. Mais ce nest que partie remise. A midi, nous mangeons tous les trois au resto U et il continue de nous raconter sa vie.
Raphael est originaire de Bergerac. Ses parents tiennent un bureau de tabac et un kiosque à journaux. Il nous raconte son activisme au sein de la jeunesse dun parti très à gauche. Je comprends que Raphaël est quelquun de politiquement très engagé, très attaché à ses idéaux, convaincu que la politique et les bons politiques peuvent changer le monde. Dans son discours, les mots capitalisme, prolétariat et communisme ont un vrai sens. Car il a lair de croire dur comme fer à des idéaux, il a lair sincère, passionné, désireux de justice sociale. Cest la première fois que je rencontre quelquun aussi passionné par la politique, surtout aussi jeune. Il est au fait de toute lactu politique, il est incollable sur nimporte quel débat.
Moi qui avais jusque-là limpression que la politique était une matière inerte qui nintéressait plus personne et dans laquelle plus personne ne croyait, je découvre quelle peut encore brasser de véritables passions. Il y a une flamme dans son discours qui est contagieuse.
Raphaël a lair dun mec très droit. Il est aussi très beau parleur, charmant naturellement, charmeur par vocation. Raphaël est un gars très cultivé, et très drôle. Et cela suffit à créer un charme hors normes. Le charme intellectuel, lune des formes de charme les plus puissantes qui soient. Un charme qui ne fane pas avec le temps, mais qui au contraire, se bonifie avec.
Raphaël est en passe de devenir le troisième élément de la petite bande dont je ferai partie en cette première année de fac et qui comptera cinq « membres » au final.
Ce soir-là, jessaie plusieurs fois dappeler mon beau Jérém. Mais je tombe à chaque fois sur son répondeur. Je me dis quil a encore dû sortir avec ses potes et quil ne peut pas me répondre. Peut-être quil na même pas le téléphone sur lui. Il a oublié de mappeler. Il aurait quand même pu menvoyer un petit message.
Dans mon petit studio, je sens un bon petit coup de blues menvahir. Jérém me manque trop. Jour après jour il me manque de plus en plus.
Jappelle maman, je lui raconte ma journée, mais je nai pas trop envie de parler. Je coupe court. Aussi, je ne veux pas rater un éventuel coup de fil de mon bobrun.
Mais ce coup de fil ne vient pas. Je sors dans la cour, en espérant que mes voisins me voient et minvitent prendre un café. Leurs volets sont fermés, ils ont dû sortir.
Je décide alors daller faire un tour pour me changer les idées. Jai envie de retrouver la Garonne, jai envie de retrouver ce lien qui me relie à ma terre natale.
Je marche dans la ville et ma première impression se confirme depuis deux jours. Bordeaux manque de couleur par rapport à ma Toulouse de cur. Jai toujours limpression dêtre un étranger dans ces rues que je découvre petit à petit. Pas encore un habitant, plutôt un touriste.
Je cherche la Garonne, je demande à des passants. On mindique la direction. Au bout dun bon moment de marche, je tombe sur une magnifique arche monumentale, la Porte de Bourgogne. Devant moi, la Garonne se déploie dans une immensité à laquelle elle ne ma pas habitué à Toulouse.
Des véritables voies sur berges, et non un simple boulevard sens unique comme à Toulouse, séparent les bâtiments de la Garonne. Un premier viaduc enjambe les voies, et se connecte à un pont bien plus ancien, dont larchitecture comporte comme des airs de famille.
Le Pont de Pierre est en effet la copie presque conforme du Pont Neuf à Toulouse, mais avec beaucoup plus darcades. Ça me donne encore plus de nostalgie, encore plus de « mal du pays ».
Jemprunte ce beau pont, je mengage dans la traversée de la Garonne. Je nen reviens toujours pas dà quel point elle est immense à Bordeaux par rapport à Toulouse. Tout comme je narrive pas à me faire à la couleur bizarre de leau.
Je marrête vers le milieu du pont, je contemple le flux lent et laminaire de leau qui inspire une immense quiétude, une sorte de solennité presque religieuse.
Je reviens sur mes pas, je me balade sur les berges verdoyantes et bien aménagées. Marcher mapaise. Je regarde mon tel. Toujours pas de nouvelles de Jérém. Je noie ma tristesse en regardant le coucher de soleil sur la Garonne.
Je continue de marcher jusquà la place de la Bourse, magnifique espace monumental. La fatigue commence à se faire sentir. Je remonte vers mon quartier, le plan à la main. Une demi-heure plus tard, alors que la nuit tombe, je suis devant le portail vert qui me sépare de la petite cour au sol rouge, de mon petit terrier.
Je me brosse les dents, jallume la télé, je zappe sur les quelques chaînes. Rien naccroche mon attention. Je me prépare à « éteindre les feux ». Toujours pas de messages de mon Jérém. Je lui envoie un dernier sms.
« Bonne nuit petit loup tu me manques ».
Une heure plus tard, à minuit, je ne dors toujours pas. Et il ny a toujours pas de signe de vie de la part de Jérém.
Jeudi 20 septembre 2001, au matin.
Le lendemain, je me réveille avec un sentiment de manque terrible. Mais une agréable surprise mattend.
« Bonjour toi ».
Enfin un message de Jérém.
« Bonjour ça va ? » je mempresse de lui renvoyer
« Oui. on se capte se soir ».
Le message est laconique, mais il a quand même le pouvoir dilluminer ma journée.
En quittant mon appart pour partir à la fac, je suis dune humeur toute guillerette.
« Bonjour Nico » me lance Denis.
« Bonjour ».
« Ça va ? ».
« Oui, bien, et vous ? ».
« Bien, bien. Dis-moi, je voulais te demander un service ».
« Vous pouvez ».
« Ce soir quand tu rentres, tu pourras me donner un coup de main à dépoter ces deux palmiers et à les planter dans la terre dans lautre cour ? »
« Avec plaisir. On fera ça dès que je rentre ».
« Merci ».
« Il y a du vent ce matin » je constate, en entendant les rafales siffler depuis la rue.
« Cest le vent de lOcéan. Il faudra ty habi ici ».
« Je suis habitué au vent, à Toulouse ».
« Ah, oui, mais ici ce nest pas le vent dAutan, cest un vent humide qui amène souvent le mauvais temps ».
En partant, je colle enfin mon nom sur la sonnette.
Dans la rue, le vent souffle très fort. Je lignore, mais aujourdhui encore le vent qui souffle sur la ville annonce que quelque chose dimportant va très bientôt se produire dans ma vie.
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